Faut-il, ou peut-on encore parler de Marcel Proust? J'ai déjà écrit que je faisais partie de ses fans ; il n'y a pas très longtemps, j'ai tenté une recherche avec le mot clé "Proust" sur un moteur de recherche... Qu'est-ce qu'on y trouve? Quelques questionnaires de Proust (alors qu'il ne l'a pas écrit, ce questionnaire, il y a juste répondu deux fois quand il était enfant), un paquet de madeleines de Proust (au choix bonbon, carré de chocolat, un biscuit pour enfant...) et beaucoup d'allusions au caractère ennuyeux voire soporiphique de La Recherche du temps perdu. Et là, cherchant une recette de madeleines, je suis tombée sur une déclaration péremptoire : "les madeleines, c'est ultra-bon, et là, je suis d'accord avec Proust même si je ne supporte pas ses livres".
Alors, c'est ça, Proust, un écrivain ennuyeux promoteur de la madeleine? Il y a quand même pas que moi à avoir lu et aimé ses livres, quand même?
Du coup, comme on ne peut pas parler de Proust, j'ai décidé de vous parler de Céleste, dont je viens de relire le livre. Quel destin extraordinnaire, Céleste... Mais le mieux, c'est de vous raconter...
Si vous allez à Combray un jour (et je vous conseille vraiment, je vous raconterai à l'occasion), dans la maison de la tante Léonie, celle que raconte Proust dans son livre, vous verrez un portrait de lui sur son lit de mort, gravé par un de ses amis peintres qui en imprima deux exemplaires avant de rayer la plaque : il donna le premier au frère de Marcel, Robert, et le second à Céleste Albaret.
Céleste travaillait pour Marcel Proust, comme domestique. Elle qui avait grandi à la campagne n'avait jamais entendu parler de lui ou du monde aristocratique qu'il fréquentait ; le jour de son mariage, son mari très ému en recevant un télégramme lui expliqua qu'il venait d'un de ses clients. Ce client, c'était donc Marcel Proust.
Comme Céleste se trouvait un peu seule arrivée à Paris avec son mari chauffeur de taxi souvent parti, Proust, qui venait de voir publié son premier livre, lui proposa de travailler pour lui "comme courrière" pour aller porter les exemplaires dédicacés à ses amis - pour lui changer les idées plus qu'autre chose, apparemment, et la faire sortir de chez elle. Puis, ce fut la guerre, Marcel Proust se retira dans l'écriture de son oeuvre et, faute de personnel, tout le monde étant mobilisé, Céleste entra à son service. Elle entra du même coup dans la vie étrange de cet écrivain qui travaillait la nuit, "se reposait" le jour et ne vivait déjà plus que pour son oeuvre, sortant du même coup dans les plus brillantes soirées parisiennes pour rechercher un détail sur une robe, observer un personnage, qu'il utiliserait ensuite pour son livre.
En rentrant de ces soirées, il lui racontait tout, moitié pour l'amuser, moitié pour rejouer ce qu'il avait vu avant de l'écrire. Céleste, qui était jeune et n'avait pas sa langue dans sa poche, le faisait rire et il lui disait qu'il mettrait telle ou telle phrase dans son livre - ce qu'il a fait.
Elle lui servait aussi de secrétaire, rangeant et triant ses notes, collant des "bequets" (des rallonges de papier) dans les marges quand il n'avait plus la place d'écrire, devenant ainsi sans doute la personne qui connaissait le mieux à la fois l'oeuvre et l'homme. Confidente et amie aussi, parfois, du moins pour autant qu'il ait pu avoir des amis... Témoin de ses relations avec son éditeur, Gallimard, et des excuses d'André Gide qui avait refusé son manuscrit, sans doute sans le lire, et que Proust fit attendre deux ans avant de leur donner celui du second tome, qu'il leur avait toujours destiné...
Témoin aussi des derniers instants, juste avant la fin, aux côtés de ses proches...
Tout cela, je l'ai lu dans ses mémoires, Monsieur Proust, un livre infiniment émouvant sur cette histoire pas ordinaire... Un livre qu'elle a voulu écrire à la fin de sa vie, vieille femme, après s'être tue pendant des années, "parce que trop de choses fausses ont été écrites par des gens que ne l'ont connu que par les livres". Et c'est vrai que, de ce point de vue, c'est un témoignage troublant - le Proust qu'elle décrit, qu'elle a connu au quotidien, ne correspond pas à ce que j'ai pu lire dans des articles ou des introductions, par des gens très sérieux, savants et renseignés. Notamment, tout le monde dit que c'est un des chauffeurs de Proust, Agostinelli, avec qui il avait eu une liaison et qui avait servi de modèle pour Albertine. Céleste dit que ce n'est pas vrai... Qui croire? Et à quoi tiennent les légendes qui entourent les grands écrivains?
Et voilà, j'en reviens à la promotion de la madeleine... C'est un étrange destin, finalement, que de devenir un monument de la littérature ; peut-être vaut-il mieux rester un petit écrivain, finalement?
Pour en savoir plus, je vous conseille donc les mémoires de Céleste Albaret, intitulées "Monsieur Proust", que j'avais lues en bibliothèque et que j'ai découvertes toujours disponibles sur un site de vente en ligne bien connu.
... et puis, je repasse à un livre pour enfant bientôt, promis ! ;)