Il y a quelques semaines, j'étais plongée dans
ma lecture quand miss Ju m'a posé une question piège : "de quoi il parle, maman, ton livre ?" Bel exercice de style... Allez répondre "de la transition énergétique" ou "de la sécurité des
approvisionnements" à une miss de pas tout à fait 7 ans. Bel exercice de style, donc, qui oblige à se plonger au coeur du problème... Dire les choses simplement, sans prosélytisme (hors de
question de faire de "l'endoctrinement facile" avec un discours trop engagé).
Je vais essayer de le refaire pour vous...
L'association Négawatt, ce sont des gens qui se sont réunis, il y a déjà quelques années, pour savoir comment on allait faire dans l'avenir pour trouver l'énergie dont on a besoin pour faire de
l'électricité, se chauffer, se déplacer.
Pourquoi y réfléchir ? Parce qu'on sait qu'il n'y a pas des réserves de pétrole pour toujours... Là, question qui tue de ma miss : "on ne peut pas FABRIQUER du pétrole ?"
Et voilà, elle a mis le doigt dessus, ma miss...
On pourrait donc commencer comme ça : comme on ne peut pas fabriquer le pétrole, des gens se sont réunis pour réfléchir à comment on pourrait faire sans*... Ils ont étudié plein de moyens
technologiques, retenus uniquement ceux qui existent déjà et dont on sait qu'ils marchent, et fait plein de calculs pour savoir si ces moyens pouvaient permettre de répondre à nos besoins en
énergie.
Et la réponse est... oui. Et ils expliquent comment on peut faire, entre maintenant et 2050, pour le faire, en diminuant les émissions de CO2 (divisées par 16 !) et en arrêtant progressivement le
nucléaire (je sais que ça va pas plaire à tout le monde, que c'est un sujet sensible, j'y reviendrai un tout petit peu après).
Alors là, forcément, vous êtes comme tout le monde, vous vous dites que c'est trop beau pour être vrai, qu'il y a un souci quelque part...
C'est que l'idée que défend cette association, c'est que la plus grosse réserve d'énergie, ce n'est ni le pétrole, ni le nucléaire ni les énergies renouvelables... Cette source énorme, c'est
toute l'énergie qu'on peut économiser, ce qu'ils appellent les négawatt... Un "cas d'école" : le chauffage des bâtiments. Produire de l'électricité à partir d'un combustible (avec des
pertes), l'acheminer (avec des pertes) pour chauffer ensuite un bâtiment mal isolé (là, je vous raconte même pas les pertes)... quel gâchis ! L'isoler correctement, c'est autant d'énergie qu'il
n'y a plus besoin de produire.
Le scénario Négawatt part ainsi des besoins - parce que ce dont on a besoin, ce n'est pas d'électricité ou de pétrole, c'est de se chauffer, se déplacer, conserver ses aliments, etc - pour
remonter aux moyens de production de l'énergie correspondante. En passant par trois étapes :
- sobriété (quels sont les besoins essentiels, futiles, déraisonnables... par exemple, aller passer toutes ses vacances à l'autre bout du monde, c'est pas raisonnable, se déplacer pour aller
travailler ou faire des courses, c'est indispensable, et il y a tout un tas d'intermédiaires entre les deux),
- efficacité (comment y répondre avec le moins de pertes possibles),
- énergies renouvelables (l'idée forte n'étant pas tant le respect de l'environnement que le côté renouvelable, justement, donc inépuisable).
Ce qui m'a marquée à la lecture, c'est le pragmatisme de leur démarche. Franchement, venant d'une association écologiste, je m'attendais à un discours "zéro voiture, tous à vélo, la sobriété rend
heureux, etc". Ben pas du tout. Pour la voiture, par exemple, ils diminuent très peu les courts trajets (ceux qu'on fait pour aller faire ses courses)... par contre, ils prévoient une nette
diminution des trajets en avion type tourisme low cost, des téléconférences plutôt que de déplacer tout le monde tout le temps... Bref, vous voyez la logique !
La seconde chose qui m'a marquée, c'est le sérieux : ils ont calculé l'équilibre entre production et consommation d'électricité heure par heure jusqu'en 2050, pour vérifier que c'était possible !
Vous me direz : oui mais, ça doit coûter cher, tout ça. Effectivement, et le sujet des financements est traité également. En parlant au passage des emplois créés localement (il y en a, des
travaux d'isolation à faire sur le parc existant).
J'ai dit que je dirais deux mots sur le nucléaire. C'est un sujet plutôt passionnel, d'un côté comme de l'autre, où les pro et les anti ont chacun un discours qui peut être assez véhément et pas
forcément envie d'examiner les arguments des autres... On sent bien que l'association Négawatt est plutôt du côté des anti, mettant en avant le problème de la gestion des déchets et les risques
d'accident. Mais finalement, ce qui domine dans leur approche, c'est plutôt le pragmatisme : l'uranium n'est pas inépuisable non plus, il faut le faire venir de l'étranger (donc il n'assure pas
une autonomie énergétique), il y a de grosses pertes à la production d'électricité (seulement 30% de l'énergie dégagée est transformée en électricité). Comme on peut faire uniquement à partir
d'énergies renouvelables (inépuisables), on n'a pas besoin de continuer à utiliser l'énergie nucléaire.
En résumé, quelque chose de très sérieux est de très complet, pour un livre qui pourtant se lit très bien (et joliment mis en page, en plus). Une lecture très intéressante... et un peu
frustrante, parce que j'aimerais bien entendre les avis et les positions des uns et des autres sur le sujet, dans les débats politiques, mais le sujet reste tristement assez absent... Si vous,
vous avez envie d'en savoir plus et de vous faire votre propre avis (et d'avoir des éléments pour discutter du sujet aussi), je vous encourage à découvrir ce livre ! Et vous pouvez aussi trouver
des infos sur le livre (et l'association) ici.
* en fait, on utilise encore un tout petit peu de pétrole, dans le scénario Négawatt, en 2050 : pour le kérozène des avions, pour la chimie ou pour la sidérurgie (là où on n'a pas de solution
technologiques actuelles pour s'en passer)... comme quoi, du pragmatisme et pas d'anti-pétrole non plus.